Comment expliquer qu’Éric Zemmour, qui a été attaqué par toutes les associations antiracistes ou communautaires pour ses sorties limite discriminatoires ou racistes, ait conservé la quasi-totalité de ses postes médiatiques ? On rappelle qu’il cachetonne dans les médias suivants : Le Figaro Magazine, RTL, i>Télé, M6, Histoire, Le Spectacle du monde. Beaucoup ont plongé pour moins que ça. Alors ?
Bruno Roger-Petit dans +Clair (Canal+) le 6 décembre 2008 :
« Moi ce que j’attends de voir c’est si Éric Zemmour va être frappé de la même sanction médiatique qui a frappé par exemple Bigard. Est-ce que il y a des endroits où on ne va plus l’inviter. »
Éric Zemmour :
« Qui c’est Bruno Roger-Petit ? Vous savez vous ? Non mais de quel droit lui il va décider qui passe à la télé et qui ne passe pas à la télé ? »
Une fonction en eaux profondes
Zemmour, dans le prisme médiatico-idéologique, se situe exactement au point antagoniste de BHL : c’est un non-sioniste (dans le sens pro-républicain et non pas antisémite) de droite face à un sioniste de gauche. En peinture, on appelle ça la couleur opposée. On s’attend à ce que Zemmour, lors de leurs rencontres médiatiques, principalement dans On n’est pas couché, avec la verve qu’on lui connaît, attaque BHL avec de solides arguments : mélange des genres, fonction indéfinie, prérogatives officieuses (notamment en politique extérieure), raccourcis historiques, exploitation victimaire, (im)posture intellectuelle, communautarisme assumé (et donc antirépublicain), pro-américanisme antifrançais, réseautage influent, procès médiatiques, lynchages et censures, gauchisme bidon… Même un étudiant en première année de dissidence sait ça. Or non seulement Zemmour n’utilise pas tout ce panel, mais sa critique est sans douleur. C’est pourtant l’un des seuls journalistes qui osait « affronter » le « philosophe ». Il suffit de comparer avec Naulleau qui lui, y va sans calcul, directement et violemment :
« D’abord vous n’êtes ni philosophe ni de gauche. »
Ce à quoi Zemmour répond (à la place de BHL) :
« Il est peut-être pas philosophe mais il sait ce qu’il fait. » (ONPC, 03 novembre 2007)
Leurs rencontres accouchent d’une opposition dure dans la forme (questions accusatrices de Zemmour nanties de quelques volets lucides), mais douce ou suffisamment vague sur le fond, pour que BHL n’ait aucun mal à l’assumer. On dirait que Zemmour frappe ce qui devrait idéo-logiquement être son adversaire avec une épée… de guimauve. Naulleau, son co-sniper chez Ruquier, plus spontané, a vraiment fait ce travail avec le courage personnel qu’on lui connaît.
- À la tête d’un grand réseau… littéraire ?
Zemmour à BHL de son livre avec Houellebecq :
« Vous êtes assez lucides chacun sur vous-mêmes… Vous vous montrez bien tels que vous êtes l’un et l’autre, c’est-à-dire, au fond, bon, un, des écrivains, c’est évident… Mais surtout vous vous montrez bien en grand manipulateur de notre société médiatique, ça ça ne m’étonne pas, mais je trouve que le fait de le dire de votre part je trouve ça assez honnête et assez intéressant. »
Attaque pas vraiment meurtrière, où pointe l’admiration :
« Vous êtes à la tête, dit-on, d’un des meilleurs réseaux littéraires, médiatico-littéraires de Paris, en tout cas très efficace. » (ONPC 1er novembre 2008)
Le lobby littéraire, comme si c’était cela qui gênait les Français et les intellectuels interdits. Seul Jean-François Kahn osera parler de lobby sioniste.
Un combat truqué
Zemmour à BHL :
« Évidemment que je suis d’accord avec vous ! » (ONPC, 13 février 2010)
Alors soit Zemmour fait montre d’un respect intellectuel sidérant quand on connaît les faiblesses de l’argumentation lévytique, soit il a un rapport secret avec BHL. La crainte n’étant pas dans son ADN, il reste le deal. Si c’est le cas, nous disons bien si c’est le cas, il faut voir le sioniste de gauche et le non-sioniste de droite comme deux lames d’une même pince. L’objectif étant de contrôler tout le champ idéologique, et d’ôter à l’adversaire la maîtrise de l’opposition. Ainsi, tout le monde ou presque peut se sentir représenté à l’intérieur de cet arc. Le filet est tendu entre les deux rives Zemmour-BHL, qui ne sont antagonistes que pour ceux qui ne saisissent pas leur relation amphibie. Peu de poissons échappent au piège.
- Deux cas hors juridiction pour Zemmour
Voilà pourquoi Zemmour est peu disert sur le sujet Dieudonné, qui le dépasse conceptuellement. Il ne traite ce sujet qu’avec des arguments basiques – ce qui n’est justement pas sa marque de fabrique – voire primaires du type « c’est un antisémite », ce qui ne fait pas avancer le débat. On l’a connu plus lucide, plus profond et plus nuancé. Mais juger Dieudonné avec lucidité révélerait son positionnement exact. Et sa mission. Dieudonné, cette étoile noire du monde médiatique français, est un révélateur. Zemmour ne traite pas non plus l’autre sujet-limite (il ne va pas « se traiter » lui-même), mathématiquement parlant, BHL. Ou alors avec des arguments basiques, comme pour Dieudonné ou Soral, ce dernier étant le second sujet tabou pour Zemmour, et pour d’autres raisons que Dieudonné. Pour des raisons symétriques, BHL ne traite pas le sujet Zemmour, sa limite opposée.
Il n’y a donc pas, malgré leur positionnement frontal, l’affrontement attendu entre le pitbull et le lynx, aux antipodes médiatiques, qui ne s’infligent aucune blessure : coups de patte sans griffes, morsures sans pression. Du théâtre pour enfants.
Zemmour :
« Ce qu’il y a de terrible avec vous, et vous l’avez dit, c’est un, vous faites la guerre, donc vous caricaturez toujours vos adversaires, et deux, surtout, la réalité n’existe jamais. C’est-à-dire que vous n’êtes jamais responsable de vos pensées, on reste toujours dans le domaine de la pensée, et vous ne sortez jamais dans la réalité. C’est-à-dire que vous ne voyez jamais les dégâts dans la réalité de vos concepts philosophiques, c’est ça qui est le plus grave, parce que là, évidemment que je suis d’accord avec vous mais ce qu’il faut voir, c’est la réalité ! »
Ou comment dédouaner BHL de ses interventions politiques sans mandat en le faisant passer pour un pur esprit… Un BHL qui sait montrer sa gratitude :
« Le Bad Godesberg dont Éric Zemmour parlait excellemment tout à l’heure, la gauche française l’a fait. » (ONPC, 03 novembre 2007)
Dans ONPC du 1er novembre 2008, BHL félicite Zemmour qui le « critique » sur la victimisation :
« Mais comme c’est bien vu, comme c’est brillant… »
Compliment de Zemmour, chose rare dans sa bouche :
« Quand vous commencez à parler de votre père je trouve que vous en parlez très bien. […] Je vous avoue que y a quatre cinq pages qui sont très belles. »
Pacte de non-agression ?
Il y a objectivement pacte de non-agression entre ces deux représentants de l’idéologie au pouvoir, qui en couvrent tout le champ. Seuls les ultra-radicaux échappent au piège tendu entre ces deux capteurs de pensées, comme dans tout schéma gaussien. Il y aura toujours des marges impossibles à « systémiser ». En bon non-sioniste de droite, Zemmour devrait en partie prendre intellectuellement la défense de Dieudonné, et lui trouver des circonstances atténuantes. Mais ce faisant, il le ramènerait dans la zone médiatique autorisée, ce qui ne doit pas arriver. Et ce qui n’arrive pas. Soral et Dieudonné sont des prisonniers médiatiques : leur micro est coupé. Ils sont interdits de parole au grand public à travers les médias dominants. Le Net est donc une tentative de contournement, ou d’évasion, un trou dans… le mur construit à cet effet : empêcher de s’adresser aux ignorants, ignorants de la répression, car le pouvoir réel est répressif, ceux qui le trouvent le savent. En attendant que le régime rebouche les trous, avec les moyens illimités dont il dispose : juridique (procès), financier (isolement économique), médiatique (censure ou lynchage), policier (déprotection), fiscal (contrôle). Et d’autres moins officiels.
- Rien ne vaut un bon pacte secret contre la Pologne
Zemmour dans ONPC du 13 février 2011 :
« C’est pas démagogique pardonnez-moi de vous rappeler que vous êtes membre de ce que Jean-Pierre Chevènement, un de vos ennemis, appelait les élites mondialisées et qui fait que votre regard sur la mondialisation et sur l’économie n’est peut-être pas le même que d’autres qui n’ont pas votre situation sociale, ce n’est ni démagogique ni insultant. […] C’est donc vous et les gens comme vous qui ont donné le cadre idéologique de cette nouvelle mondialisation qui fait tant de pauvres dans tous nos pays. »
Comme si BHL allait se sentir responsable de la misère ultralibérale !
Le rôle de Zemmour, placé suffisamment loin de BHL pour n’être pas confondu, est de capter l’antisionisme acceptable, petite concession système, mais d’être en même temps repoussant. Emprunter la valise conceptuelle de Soral, comme la valise nucléaire avec ses codes, et contrôler ainsi une partie de l’antisionisme autorisé. Zemmour est l’opposant officiel, choisi par le pouvoir (choisi dans le sens autorisé, parce qu’utile), à BHL. Ainsi, le prisme des opinions est-il largement couvert de droite à gauche. Sinon, comment Zemmour pourrait-il tenir dans les médias, avec ses propos sur les Noirs, les Arabes, les musulmans ? Sur ce point, malgré les atermoiements gauchisants de BHL sur la souffrance des minorités, les deux personnages se rejoignent et se complètent parfaitement : l’un fustige le danger islamiste, l’autre le poids des immigrés… deux sources nouvelles d’antisémitisme. Deux chemins pour un même but.
- Le gang de la barbarie à visage humain
Zemmour :
« Il y a incontestablement un terreau, aujourd’hui, dans de nombreuses banlieues, un terreau antisémite et pas seulement antisémite. Aujourd’hui, dans beaucoup de collèges de banlieues, Français est une insulte. Juif est une insulte, mais aussi Français. Il faut le dire. » (Ça si dispute, i>Télé, 28 février 2006)
BHL :
« La France a un antisémitisme qui ne demande qu’à passer à l’acte, vous le voyez bien. Ça s’appelle le meurtre barbare d’Ilan Halimi, et le meurtre antisémite. Le meurtre antisémite ! Il faut le dire, il ne faut pas avoir peur des mots. » (Campus, France2, 02 mars 2006)
S’il est difficile d’attaquer idéologiquement BHL, quintessence de la bien-pensance droit-de-l’hommiste, il est aisé de s’en prendre à Zemmour, qui fait tout pour. C’est un attrape-nigaud, littéralement. Certes, le fait d’être juif constitue une première armure contre les attaques, ou les contre-attaques plus précisément, ses risposteurs devant faire très attention à leurs propos. Zemmour est malin : il n’utilise jamais sa judaïté pour se défendre, comme beaucoup de sionistes imbéciles, mais l’armure fonctionne toute seule. Et ses contradicteurs, ceux que le système laisse passer (Rokhaya Diallo, Caroline Fourest, ainsi que toute la planète des animateurs et animatrices intellectuellement faiblards) sont souvent politiquement limités. Seuls des radicaux cohérents dénués d’affects peuvent le secouer. Mais ceux-là sont exclus du système. Zemmour bénéficie d’une protection (sur)naturelle.
BHL/Zemmour en flics gentil/méchant
Avec le Gentil, de souche ou immigré, sur la chaise de l’accusé…
En autorisant cette voix déviante, à la limite de l’antisionisme (non-dit, mais qui prend le biais de l’égalité républicaine anticommunautaire), le système en contrôle le développement. En faisant l’unanimité contre lui, Zemmour bloque aussi la promotion de cette opinion… aux yeux de l’opinion. Il est une porte donnant sur les interdits de parole. C’est le gardien de la prison médiatique, qui laisse parfois filtrer des messages. Nous n’affirmons pas que c’est conscient, chacun croyant être libre de ses pensées, surtout si elles sont cohérentes.
Georges-Marc Benamou à Zemmour :
« Vous me chauffez les oreilles depuis quelques mois, vous êtes un fasciste et ce n’est pas parce que vous êtes juif que vous pouvez vous permettre cela ! » (ONPC, 29 mai 2010)
Si le programme « Zemmour » irrite ses coreligionnaires antifascistes (comme ce pauvre sparring-partner de Domenach), on n’a jamais vu BHL hausser le ton contre lui. Or qui est plus antifasciste que BHL ? Sinon Zemmour aurait déjà perdu certains de ses engagements, comme Guillon et Porte dans un autre registre. Cela veut dire que sa fonction est tolérée, et qu’il y a de bonnes raisons à cela. Ce n’est pas de la complotite, comme dirait Giesbert, mais une simple comparaison. Car les oukases de BHL sont systématiquement suivis par ses lieutenants et ses obligés dans les médias, Guillaume Durand l’a confirmé pour son émission Campus.
Zemmour n’est pas l’opposant mais le complémentaire de BHL. Ils ont chacun leur cheval de bataille pour 2017 : Manuel Valls pour BHL, Marine Le Pen pour Zemmour. Ainsi, tout est verrouillé. Non-sioniste (mais pas antisioniste) de droite contre sioniste de gauche… La finale annoncée ?
Si BHL ne cache pas son communautarisme, Zemmour sait en transformer la critique en compliment :
« Tariq Ramadan n’est pas votre adversaire, c’est votre meilleur élève… Pour lui aussi, démolir le pacte laïque français, il tente de culpabiliser la république française en rappelant les massacres de la guerre d’Algérie, la colonisation, l’esclavage… » (ONPC, 14 février 2010)
Elisabeth Lévy à BHL :
« À force de diaboliser Le Pen, à force de le traiter de fasciste, à force d’en faire si vous voulez le diable de tout le système, je veux dire, on a réussi à l’amener à 20 %. Vous voulez faire quoi avec la fille, l’amener à 30 ? » (Semaine critique !, France2, 10 décembre 2010)
Avant Zemmour, Elisabeth Lévy, dans ses heures de gloire, fut en charge de la version patriotique, ou néo-nationaliste, du sionisme médiatique. Un oxymore ? Tout est possible, en politique. Mais la Lévy, ivre de son succès et de son influence (elle se mettait à gronder et mordre un peu tout le monde, même des sionistes, dans Culture et dépendances de Giesbert), a fait des sorties de piste. Les patriotes diront : ni (Elisabeth) Lévy ni Zemmour. Car cette tentative de récupération de la frange patriotique de la dissidence suppose in fine une compatibilité au sionisme, ce qui pose toujours un problème… patriotique. Sauf si on se met d’accord contre l’Islam.
Néanmoins, Zemmour, plus efficace, a pris son envol médiatique quand la Lévy a atterri. Un switch parfait de DJ. Mais qui est ce DJ, dont les complotistes parlent tant ?
- Légèrement improductive
Dans les années 30, la direction du Parti communiste français était assurée par des fantoches placés par Moscou, et déplacés par Moscou. Les vrais chefs du Komintern, avant qu’il ne soit éradiqué par Staline, débarquaient de temps en temps chez nous de manière clandestine pour distribuer dollars et ordres (blocage de l’appareil productif, stratégie politique). Il y avait donc une direction cachée.
Notre hypothèse n’est donc pas fantaisiste. Le non-rapport Zemmour/BHL est vraisemblablement un rapport caché. La fonction de Zemmour est de ne « pas être d’accord » avec BHL pour fermer la deuxième porte de la clôture, et embrasser tout le prisme politique, de l’acceptation du sionisme à son rejet. Toujours, ces deux intellectuels sont complémentaires : BHL culpabilise les Français sur Vichy, la rafle et le racisme, et Zemmour les déculpabilise de leur racisme (supposé). L’un apporte de la honte, l’autre de la fierté. Mais il y a des terrains où Zemmour ne va jamais, comme l’antisionisme, qui appartiennent à BHL. Zemmour ne va jamais là où l’on pourrait les confondre.
Idiot utile. Unique critique désobligeante qu’on entendra, deux fois, dans sa bouche. Nous sommes dans l’émission Zemmour & Naulleau, sur M6, le 2 décembre 2011. Zemmour à BHL après son périple libyen :
« Vous êtes l’idiot utile de l’islamisme. »
Et sur son Facebook :
« BHL est l’incarnation de ces intellectuels de la gauche morale qui, en fait, ont servi de porte-drapeau à l’évolution du capitalisme. C’est-à-dire qu’en achevant (sous réserve de droit de l’homme, d’universalisme, d’humanisme) la nation et les frontières, ils ont servi le capitalisme financier, qui a pu s’étendre ainsi au monde entier, et ils ont ruiné ce qui était la gauche, c’est-à-dire la lutte contre les inégalités. Donc je pense que BHL est l’idiot utile du capitalisme. »
Et alors ? BHL le revendique ! Et nous sommes tous des idiots plus ou moins utiles.
BHL, face cachée d’Éric Zemmour ?